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jeudi 2 mars 2017

Promenons-nous sur les quais

Sortir de chez moi, c'est aussi retrouver le bruit du monde extérieur.                            
Depuis ce qui est de l'ordre d'une retraite, au vrai sens du mot : se retirer, il y a une intériorisation inévitable. La quasi solitude, même si j'ai de l'aide quotidienne et correspond avec mon amie, la tranquillité de ma maison, le très peu d'activités, lire et écrire, la kiné, la confrontation permanente avec moi-même... De plus en plus sensible au bruit, à cause du silence qui me côtoie. De plus en plus sensible aux excès de tout genre, à cause de la lenteur, de l'arrêt imposé, de la précarité de ce corps que je vivais immortel. De plus en plus sensible à l'éphémère...

Bientôt je sentais qu'il y avait trop de monde, trop de bruit, cette ambiance de circulation incessante en arrière-fond, et les vibrations qui imprègnent le bitume, les façades, les trottoirs. Je suis de plus en plus sensible à cet aspect vibratoire qui précède et envahit un lieu, qui se dégage d'un agglomérat, ce que l'on nomme ambiance, mais qui est en réalité bien plus subtil que ce mot. Il y a ce que l'on entend, ce que l'on voit, ce que l'on sent. Mais de quel ordre est le fait de sentir quelqu'un à distance sans le connaître, de pressentir ce qui va arriver, d'être touché par les mouvements invisibles du vivant et peut être des étoiles elles mêmes. Alors la petite voix me dit : Viens, il est temps de partir!

Je longe les quais pour rejoindre la gare à pied. Je me sens suffisamment en forme pour le faire.
J"entends au loin la sonorité d'un djembe. Les quais de Bordeaux s'étalent sur plusieurs kilomètres avec des zones bien différentes, des jardins, un miroir d'eau, des commerces et des bars, et de l'autre côté du pont des terrains de sport divers. Des jeunes y jouent au foot, au basket, ou font du hockey. Il y a un côté un peu américain à cause des voitures relativement proches, des grilles qui entourent certains terrains, et de toute une population noire. Rien à voir avec le côté bobo des bistrots détente à l'opposé.

Je m'arrête un moment pour regarder ces jeunes hockeyeurs en rollers. Cela me rappelle ma jeunesse quand je pratiquais ce sport en salle avec des vrais patins à roulette avec les chaussures comme les rollers d'aujourd'hui, ce qui était rare à l'époque. Ils ont une dextérité étonnante, virent sur deux mètres à toute vitesse comme sur la glace.
J'arrive à l'endroit où trois joueurs de djembe envoient leurs vibrations à des centaines de mètres à la ronde. Il n'y a pratiquement que des noirs, assis , discutant, et ce changement fait une drôle d'impression. Il y a inévitablement une ségrégation. C'est leur domaine. Je sais que plus loin il y a tout un quartier arabe. L'histoire de la répartition des communautés a toujours une explication. Il y a des zones de riches, des zones de pauvres, et celles de la migration. Mais c'est pareil en Afrique, les blancs sont entre eux. L'intégration complète, le mélange en toute neutralité, reste une exception il me semble.

Une femme blanche, la seule, est là et joue avec un chien. Je sens la marginalité. Bientôt elle me rejoint et m'adresse la parole sans ambages. Elle me parle djembe, je lui dis qu'on les entend de loin, puis me voyant avec la canne, elle me dit qu'elle aussi a été malade et qu'elle s'en est sortie grâce au mental, à la volonté. Elle ne me demande pas ce qui s'est passé pour moi, mais me bouscule un peu de ses idées comme si elle était sûre de sa réussite et de son pouvoir, un besoin de reconnaissance. A voir son regard et sa tenue, je me dis qu'elle est passée par la drogue.
Bon, on n'allait pas s'éterniser, je lui souhaitai bonne soirée et reprit mon chemin vers la gare.

3 commentaires:

Dominique a dit…

Merci Yannick pour cet émouvant témoignage. Profite.

yannick a dit…

Oui, merci Dominique.

Claire a dit…

L'autre bout du monde à 2 pas...
Un cap pour ce grand voyageur que tu es...
Se laisser traverser... Explorer le tout près...
Oui : sortir !
Très chaleureusement à toi Yannick