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samedi 3 septembre 2016

Présence de Marie?


Je m'étais tournée vers Marie, car j'imaginais que Dieu serait bien difficile à atteindre. Je priai longtemps, avec la force du désespoir. "Ma  Marie, je t'en supplie, toi aussi tu es mère, tu connais le vide qui me brûle les entrailles. Il faut que j'aille voir mes enfants. Aujourd'hui, c'est encore possible, demain, ce sera  fini. Je sais que tu m'écoutes. Je voudrais te demander quelque chose de plus spirituel, que tu m'aides à devenir meilleure, plus patiente, plus humble. Tout cela, je te le demande aussi. Mais là, je t'en prie, viens me chercher."
Maman me racontait qu'un samedi, folle de douleur, elle s'était révoltée contre Marie : on lui annonça le jour même que la guérilla lui avait remis ma seconde preuve de survie.
Je ne croyais plus aux coïncidences. Depuis mon enlèvement, dans cet espace de vie hors du temps, j'avais eu la possibilité de réviser les événements de ma vie avec la distance et la sérénité propres à ceux qui ont des jours en trop. J'en avais conclu que la coïncidence n'était que l'aveu de l'ignorance du futur. Il fallait être patient, attendre, pour que la raison d'être des choses devienne visible. Avec le temps les événements prenaient place dans une certaine logique et sortaient du chaos. Alors la coïncidence cessait d'exister.
J'avais parlé avec elle, comme une folle, pendant des heures, utilisant le chantage affectif le plus bas pour venir à bout de son indifférence, la boudant, me mettant en colère, et me jetant à ses pieds à nouveau. Marie, celle à qui je m'adressais, n'était pas une image d'Epinal. Ce n'était pas non plus un être surnaturel. C'était une femme qui avait vécu deux mille ans avant moi, mais qui, par une grâce exceptionnelle, pouvait m'aider. Frustrée et exténuée par ma plaidoierie, je m'étais effondrée dans un sommeil sans rêves. Mon esprit planait; convaincu qu'il continuait à veiller. Je croyais que j'étais assise, toujours aux aguets. Je sentis alors qu'on me touchait l'épaule, puis, devant mon absence de réponse, on me secoua. C'est alors que je compris que je dormais  profondément, car le retour à la surface fut lourd et douloureux, et je me retrouvai d'un bond, décalée dans mon temps, assise, les yeux grands ouverts, le coeur battant la chamade. "Merci", dis-je par politesse. Rien de divin, juste cette sensation d'une présence.

Même le silence a une fin.  
Ingrid Betancourt

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