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mercredi 18 juin 2014

Ne refuse rien, je m'occupe de tout

Tout s'arrête en un instant.

"C'est plus facile quand tu ne fais plus partie de la course!"
Je viens de lire cette phrase ce matin et elle m'a touché. Derrière son apparence, il y a une profondeur.
J'ai déjà fait part de ma passion pour la mer et la voile. Ce qui m'amène à suivre les courses en bateau sur le net. Il faut être bon, très bon même pour gagner une course, mais il y a aussi le facteur chance.
En ce moment c'est la course en solitaire du Figaro. Quatre étapes de dingues qui durent entre 3 et 4 jours, selon le vent, où les skippers dorment par bribes de dix minutes, un quart d'heure, et sont à la ramasse quand ils terminent l'étape. La fatigue augmentant avec le nombre d'étapes. Il est dit que c'est la course la plus difficile qui existe, et donc la plus belle. Il faut tout donner tout le temps.
Une course en bateau, ce n'est jamais une ligne droite. Il faut savoir où aller au bon moment. C'est tactique, il faut savoir prendre des risques parfois, ou rester sage aussi, il faut s'y connaître en météo, savoir régler le bateau au mieux dans toutes les conditions de mer et de vent. Et les arrivées se suivent de très près, à quelques minutes, voir quelques secondes. Un niveau très élevé, ou une dizaine de marins peut prétendre à la victoire.

Lors de la première étape, alors qu'il était en tête, Yan Eliès voit le mât tomber au passage d'un phare.
Ce n'est pas uniquement le mât qui tombe, ce sont tous ses espoirs de remporter la course qui tombent aussi, puisqu'il est l'un des deux grands favoris, et aussi la possibilité d'égaler le record actuel de remporter par trois fois cette course mythique.
Une fois démâté, ses petits copains le doublent.

Lors du repos avant d'entamer la seconde étape, il récupère un autre mât, des voiles, pour repartir.
Il prend la tête de nouveau, et écrase la concurrence en arrivant premier cette nuit avec une heure d'avance sur le second (ce qui est beaucoup à ce niveau).
Il ne pourra plus gagner cette course, qui comporte quatre étapes, mais il pourra peut être égaler le record d'étapes gagnées sur plusieurs participations. Plus qu'une et ce sera fait, et s'il gagne les deux dernières étapes, il sera le seul à en avoir gagné autant.
Voilà ce qui est de l'esprit course, record, etc...

Tout le monde sait qu'une course, une compétition, engage le mental, qui est bien souvent le plus déterminant. Il faut être fort dans sa tête. Mais il faut aussi être détendu.
"C'est plus facile quand tu ne fais plus partie de la course" signifie donc que cette pression liée à la course n'existe plus, car tu sais que si tu fais des erreurs, tu te les pardonneras plus facilement, puisqu'il n'y a plus d'enjeu, en tout cas absolument plus du même niveau. Le fait qu'il n'y ait plus cette pression amène la détente. Quelqu'un qui est déjà doué, mais détendu en plus, ce qui n'est pas le cas de ses adversaires, est dans un tout autre état d'esprit, une sorte de liberté totale, d'où la remarque que c'est plus facile. Il y a une puissance en devenir.

Peut être avez-vous déjà vécu ça, à un autre niveau. Lorsque l'on se prépare pour quelque chose, et que la vie vient tout casser en quelques secondes, dans son parfait imprévu dont elle a le secret. Une fois la déception passée, on peut se surprendre à être tout d'un coup dans le présent de manière beaucoup plus prégnante. En effet, il n'y a plus la tension vers un but. Lorsque l'on a vraiment dépassé l'abandon du but, une nouvelle liberté survient parce du coup tous les possibles sont ouverts. On devient plus attentif au réel immédiat. Avant aussi, mais on misait sur notre attente d'un seul possible : le but que l'on s'était fixé. On n'imaginait pas autre chose. Peut-on continuer à vivre quand le but s'échappe? Bien sûr que oui, mais en passant par quelles étapes? La seule solution c'est de reconnaître que notre aventure momentanée est morte. Cela va prendre du temps selon notre capacité d'acceptation, mais cela peut se passer vite aussi. Savoir rebondir comme on dit!
Si on se crispe, on arrête l'énergie vitale autour de notre propre histoire. On continue d'imaginer une continuité à quelque chose qui s'est inévitablement arrêté, mal terminé en tout cas. Si on dépasse ce moment, on se ré-ouvre à la vie. La vie qui ne s'arrête jamais. Du coup elle va envoyer quelque chose d'autre. C'est comme une loi.
"Ne refuse rien, je m'occupe de tout" dit la vie en sourdine.
Ne plus faire partie de la course est de cet ordre. C'est abandonner ses enjeux personnels à plus grand que soi. Dans cette détente qui se crée, il y a une très grande confiance toute naturelle dans son savoir faire, et dans la vie tout court. Quand il n'y a plus d'enjeu, tout devient tellement plus facile. C'est alors que l'on devient très bon. Juste la vie qui joue toute seule.
Il faut juste savoir tourner la page au bon moment.... Cela s'apprend progressivement.

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